Lecture : Gen. 14. 18 à 20 / 1 Cor. 11. 23 à 26 / Luc 9. 11 à 17

« Renvoie la foule… »

« Chacun pour soi, Dieu pour tous ! »

L’expression n’est pas nouvelle. Elle désigne cette tendance humaine à faire prévaloir ses intérêts personnels, au détriment de l’intérêt général. Cette expression caractérise aussi malheureusement beaucoup d’états (occidentaux en particulier), à l’égard d’autres pays. Ce qui engendre des risques de conflits (USA/Iran), des dérèglements de tous ordres, y compris climatiques. Cette tendance peut aussi devenir la nôtre si nous n’y prenons garde. Il est si tentant de se replier sur soi, sur les siens et d’oublier les autres ! De ne penser qu’à soi ! De privilégier notre bien-être personnel au détriment du bien commun ! On n’a jamais autant parlé du « vivre ensemble », et pourtant notre société ne cesse de se cloisonner. Force est de constater que les efforts du politique dans ce domaine sont davantage motivés par la crainte des conflits sociaux que par le désir réel du bien commun. Les textes bibliques de ce matin nous invitent à réfléchir sur cette question ; celle de notre rapport aux autres, à l’église, à Dieu, comme à la société en général. Ouvrons nos cœurs à ces paroles et à l’Esprit qui souffle en elles. Comment passer du « chacun pour soi » au « chacun pour tous » ?

1°) « Béni soit Abram… »

Le texte de Genèse 14 nous révèle quelque chose d’important du cœur d’Abram. Abram ne cherche pas la bénédiction de Dieu et pourtant il la reçoit. Comment ? En Genèse 13, Abram se dispute avec son neveu Loth, qui a été longtemps son protégé !  Ils ont un différent, un conflit qui les amène à se séparer, à prendre un peu de distance car leurs troupeaux deviennent trop nombreux. C’est là qu’Abram laisse le choix du territoire à son neveu. Quelque temps après, au détour de guerres tribales, Loth est fait prisonnier avec tous ses biens. Dès qu’il apprend la nouvelle, Abram n’hésite pas une seconde. Au lieu de dire ou de penser : « C’est bien fait pour lui… », il part se battre et délivre son neveu. Il n’a aucune amertume, aucune rancœur à l’égard de Loth. Quel bel exemple de solidarité, de recherche du bien de l’autre ! Et c’est là qu’il reçoit la bénédiction de Dieu. Il reçoit cette bénédiction à travers le personnage mystérieux de Melchisédek. Bénédiction à laquelle il va répondre en lui donnant la dîme de tout ce qu’il a gagné, en signe de reconnaissance à Dieu. Quel exemple pour nous dans notre relation aux autres et à Dieu ! Quel est notre degré de solidarité vis-à-vis de nos frères et sœurs en difficultés ? Jusqu’où sommes-nous prêts à nous laisser déranger pour leur venir en aide ?

2°) « Renvoie la foule… »

Le texte de l’évangile nous raconte l’embarras des disciples face à une parole de Jésus. C’est le soir, ils ont 5000 personnes à gérer dans un lieu désert. Ils vont tout naturellement dire à Jésus : « Renvoie la foule… ». En quelque sorte dis-leur qu’ils s’en aillent ! Dis-leur : « allez, que chacun se débrouille… ! ». Mais non, dit Jésus, ça ne marche pas, je ne suis pas d’accord avec vous ! « Donnez-leur à manger vous-même … ». Jésus les renvoie à eux-mêmes, il les invite à chercher une autre solution. C’est là qu’ils découvrent qu’ils ont quelques moyens, même s’ils sont dérisoires. Mais c’est pourtant de là que Jésus nourrira la foule, après avoir béni ce peu qui est mis à sa disposition. Et finalement, les disciples se retrouveront avec beaucoup plus que ce qu’ils ont donné. De 5 pains et de 2 poissons, il leur reste 12 paniers ! Et tout le monde est rassasié. Le passage de la recherche du bien personnel à celui du bien commun est toujours fécond. Il porte de bons fruits. Le miracle devient possible par le don de ce que l’on a, ou de ce que l’on est. Si faible que l’on soit, si dérisoires que peuvent être nos moyens, apportés à Dieu, ils peuvent déclencher les bénédictions et les miracles les plus étonnants. A nous d’y croire et de prendre le « risque » du partage.

3°) « Ceci est mon corps… »

En reprenant le geste de Melchisédek, comme celui de la Pâque juive, Jésus annonce le sens et la valeur de sa mort. Son sacrifice, le don de sa vie deviendra une grande bénédiction pour le monde. Jésus est l’exemple suprême du don de soi. L’expression la plus parfaite de l’amour. D’un amour qui dépasse les mots, qui dépasse les sentiments. D’un amour qui va jusqu’au don ultime de soi, celui de sa propre vie. A la croix, on est bien loin du « chacun pour soi… ». Bien loin de la recherche des intérêts personnels. A la croix, on est face à un Dieu qui se donne, un Dieu qui pardonne généreusement, un Dieu qui aime par-dessus tout, prêt à tout pour sauver le monde. C’est cet amour que le Seigneur nous offre ce matin encore. Qui que nous soyons, cet amour est pour nous, il est pour tous. Nul n’en est exclu. Il est pour toi qui doute encore peut-être. Il est pour toi qui passe par un temps de découragement, de fatigue, d’épreuve. Il est pour toi qui t’inquiète du lendemain, il est pour tous. A chacun de l’accepter, de l’accueillir, de s’ouvrir, de se laisser aimer, pardonner. Et de se donner à son tour, d’aimer à son tour, de pardonner à son tour ; de se donner à Dieu en signe de reconnaissance. Il ne s’agit pas seulement de donner la dîme à Dieu. La dîme n’est rien, elle n’est qu’un retour normal, qu’une reconnaissance. Comme le disait si bien le roi David dans sa prière à la fin de sa vie : « Tout vient de toi, et nous recevons de ta main ce que nous t’offrons ». Nous sommes appelés à donner plus que notre dîme, à nous donner nous-même, à consacrer nos vies au service de Dieu, de son église, de notre prochain. Comme le dit le chant : « Entre tes mains j’abandonne… »

« Renvoie la foule… »

« C’est bien fait pour lui… Que chacun se débrouille… » Que Dieu nous garde de telles paroles, de cet égoïsme qui caractérise tant notre tendance humaine.

Lorsque l’on vit « chacun pour soi, Dieu n’est pour personne ». A l’inverse, lorsque nous vivons « chacun pour tous, Dieu est pour tous, la bénédiction est là, et les miracles possibles ».

N’hésitons pas à revoir notre rapport aux autres, à Dieu, à l’église. Ne sacrifions pas à notre égo, ne nous laissons pas entrainer par ce courant inhumain, qui détruit chaque jour un peu plus notre humanité et notre planète. A l’exemple d’Abram, des disciples de Jésus, en reconnaissance à l’amour du Seigneur, ayons soin les uns des autres ; ayons soin de l’Eglise, de l’œuvre du Seigneur. Consacrons nos vies à son service, et vivons avec générosité dans tous les domaines.

« Nous avons connu l’amour en ce qu’il a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères » (1 Jean 3. 16)

Pasteur Joël Mikaélian 23 06 2019