Lecture : 1 Sam. 26. 2 à 12 / Luc 6. 27 à 38

« Faites du bien à ceux qui vous haïssent… »

Il est des paroles dans l’évangile qui nous choquent, qui nous dérangent. Des paroles que nous n’aurions jamais aimé entendre. Pourtant ce sont des paroles de vie et de paix. Des paroles révolutionnaires qui constituent le secret du « vivre ensemble » et d’une vie chrétienne épanouie et paisible. Pourtant, nous les rejetons souvent en bloc au motif qu’elles sont au-delà de nos forces ; ou bien parce qu’elles nous paraissent injustes, voire même dangereuses, constituer une « incitation au mal » ! Certes, le monde fonctionne en grande partie sur le registre de la loi du talion. C’est d’ailleurs le fondement de la justice humaine, le garant de l’ordre public. Le principe d’une juste rétribution des fautes, des atteintes à la vie ou au bien d’autrui est certes indispensable à toute vie en société. Tout en soulignant que ce principe ne résous pas et n’a jamais résolu les causes du mal. Il n’est qu’un moyen de le refreiner et de rendre justice aux victimes, avec plus ou moins de justesse et d’impartialité. Sans remettre en cause la nécessité de cette justice humaine, Jésus invite ses auditeurs à dépasser cette loi. Il n’indique pas ici un nouveau modèle de société mais un nouveau style de vie. Sur quoi est-il fondé ? Comment le vivre ?

1°) « Père, pardonne-leur car ils ne savent ce qu’ils font… »

C’est ici le fondement de ce style de vie que Jésus propose. La croix et ses dernières paroles, tels sont à mon sens les fondements de ces exhortations à aimer nos ennemis. Le fondement de la vie que Jésus propose, c’est le pardon. Grande question que celle du pardon ! Il est de bon ton aujourd’hui d’y associer toutes sortes de nuances, de conditions, de subtilités qui parfois le vident de sa force et de sa puissance. On pardonne mais on n’oublie pas ; on pardonne si on nous demande pardon ; si on nous demande sincèrement pardon. Et de se donner le droit de juger si oui ou non la repentance de l’autre est sincère, valide. Faut-il des réparations pour pardonner ? Quelles réparations ? En cas de mort, peut-il y avoir réparation ?

Jésus nous invite à dépasser ces considérations. Comment ? En acceptant tout d’abord le pardon de Dieu, ce pardon qu’il a réclamé au Père à grand cris sur la croix. La bonne nouvelle de l’évangile, c’est qu’en Jésus, tu es pardonné. Qu’il te faut simplement le croire, l’accepter et le vivre. C’est l’expérience de la nouvelle naissance, l’entrée dans une nouvelle vie. C’est là que tout commence. C’est à eux que Jésus adresse ce qui va suivre : « Mais je vous dis, à vous qui m’écoutez… ».

2°) « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient »

Sagesse ou folie ? A première vue, folie, naïveté. Ce que Jésus propose relève d’une forme d’angélisme qui ignore la réalité du monde. Et l’on serait tentés de dire : « Seigneur, tu te rends compte de ce que tu dis ? Mais ce n’est pas possible ! ». Pas possible, le mot est lâché. Et l’on oublie que l’on s’est adressé au Dieu de tous les possibles. Que cela est possible aux humains qui lui font confiance. Comme cet exemple qui nous est donné dans la Bible, exemple du roi David dans sa relation avec Saül (1 Sam. 26). Le roi Saül est animé d’une jalousie tenace envers David. Il ne supporte pas ses succès, sa popularité qui dépasse la sienne. Son égo le pousse à la haine jusqu’à vouloir la mort de ce concurrent. Le conflit comme tout conflit pousse à la déraison. Vouloir éliminer ceux qui nous gênent, ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, ceux qui pensent autrement… Vouloir se venger de ceux qui nous ont fait du mal, ceux qui nous ont blessés. Réclamer justice, même à Dieu. L’histoire n’est pas nouvelle, elle se reproduit sans cesse car elle est de la nature humaine, de notre nature. « Œil pour œil, dent pour dent » ! « Je ferai comme il m’a fait ; que Dieu lui fasse comme il m’a fait ! ». David, comme Jésus nous disent non, tu te trompes, ceci n’est pas un chemin mais un cercle vicieux d’où il faut absolument sortir si tu ne veux pas passer ta vie à tourner en rond. L’histoire nous montre comment David s’en est-il sorti ? Il s’en est sorti par sa générosité envers Saül. Par son refus de rendre la pareille, de répondre à la violence par la violence. Quelle force dans la générosité, lorsque l’on n’entre pas dans la spirale de la vengeance, quelle puissance, Saül ne sait plus quoi dire.

« Soyez généreux comme votre Père est généreux ». Et si nous prenions nous aussi le risque de la générosité ? Généreux en pardon, en amour, en compassion, en compréhension. N’avons-nous pas besoin d’emprunter sans cesse ce chemin pour notre bien ? Car on le sait, l’amertume, la jalousie, la rancune, le désir de vengeance polluent notre propre vie. Ces choses nous enferment, nous rendent aveugle et empoisonnent nos vies si nous les laissons s’installer en nous. Cette semaine, j’ai reçu un questionnaire d’un chercheur aux USA, que j’avais rencontré à Istanbul il y a quelques années, lors d’un séminaire sur le pardon et la réconciliation avec des pasteurs turcs. Son étude porte sur l’aspect psychologique et théologique du pardon et il souhaitait avoir des avis par rapport au Génocide des Arméniens. Une de ses suggestions m’a particulièrement interpelé en rapport avec notre sujet. Elle disait : « Les actions injustifiées de ceux qui m’ont fait du mal m’ont empêché de profiter de la vie » : Oui ou non ? C’est effectivement ce qui se passe lorsque je fonctionne dans le registre de la loi du talion au niveau de mes relations. Que ce soit dans la famille, dans l’église, au travail, à l’école… L’amertume, la rancœur, le désir de vengeance aliène et empoisonne la vie des victimes, accentue la souffrance et le mal, plus qu’il ne le soulage. Il y a dans la victimisation une autodestruction inconsciente. Un enfermement destructeur dont il faut absolument sortir. Le pardon libère, la générosité libère. C’est là le chemin à emprunter, pratiquer le pardon avec générosité à l’image de celui que nous appelons « Père ».

3°) « Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils (et les filles) du Très-Haut… »

Certes, Jésus ne répond pas à la question de l’impunité, elle est du ressort de Dieu et de la justice. Il nous encourage simplement à ne pas nous en préoccuper, encore moins à nous faire juge et à décider nous-mêmes des peines. Il y a d’une part des lois pour cela même si elles ne sont pas toujours justes. Et il y a d’autre part le jugement de Dieu, seul juste juge, qui jugera de tout et de tous de façon parfaite. Sans oublier que son jugement intègrera aussi la grâce. Raison de plus de ne pas nous prendre pour des justiciers.

Jésus nous parle de récompense au futur. Cette récompense ne viendra pas nécessairement de là où on l’attendrait. C’est-à-dire, de la repentance, de la réconciliation ou des réparations de ceux qui nous ont fait du tord. Malheureusement les choses ne fonctionnent pas toujours ainsi dans notre monde déchu. La récompense viendra de Dieu, ici ou au-delà. Pour revenir à l’exemple de Saül et David, l’histoire nous apprend qu’il n’y aura pas eu de véritable repentance et de réconciliation entre Saül et David. Mais Saül finira tristement sa vie, David recevra sa récompense de Dieu pour sa générosité, son refus d’entrer dans l’engrenage de la vengeance. Il sera un grand roi, apprécié et aimé de son peuple ; aimé de Dieu malgré ses fautes même. Il fut « un homme selon le cœur de Dieu ».

Conclusion :

« Faites du bien à ceux qui vous haïssent… »

Sagesse ou folie ? Certes, folie à vues humaines ! Mais sagesse de Dieu selon que l’Ecriture nous dit que : « La folie de Dieu est plus sage que les hommes… » (Cor. 1. 25). La nouvelle naissance en Jésus  nous fait entrer sur un chemin nouveau, le chemin de la vie. Un chemin de vie qui n’obéit plus à la loi du talion. C’est un choix de vie que le Seigneur place devant nous ce matin avec ces propos surprenants. A nous de le vivre avec l’aide et le secours de l’Esprit Saint.

Pasteur Joël Mikaélian

24/02/19