Intervention du Pasteur Emile Nicole lors du petit déjeuner les dames le samedi 01/02/2014

La sagesse dans les Proverbes

On peut comprendre ce titre de trois manières différentes.
– La sagesse comme forme de pensée et de littérature, représentée dans la Bible par les livres des Proverbes, Job et l’Écclésiaste.

– La sagesse comme qualité acquise ou à acquerir. « Si quelqu’un manque de sagesse, écrit Jacques au début de sa lettre, qu’il la demande à Dieu » (Jq 1.5). « Acquiers la sagesse ! » exhorte plusieurs fois l’auteur des Proverbes (Pr 4.5,7 ; 23.23).

– La sagesse comme figure symbolique qui s’adresse aux humains (Pr 1.20 : 8.1), elle a bâti sa maison, préparé la table où elle invite les passants (Pr 9.1-6).

Ce sont surtout le premier et le dernier aspect qui seront présentés ci-après, tout en espérant contribuer ainsi à une meilleure appropriation du second.

La sagesse, forme de pensée et de littérature.

L’Ancien Testament présente une variété de formes littéraires, narration, loi, prophétie, prière. La sagesse, s’incrit comme l’un des aspects de cette diversité. Elle présente des caractéristiques, une forme de pensée, qui la distinguent même de tout le reste de l’Ancien Testament. Á la différence des autres livres qui concentrent leur attention sur l’action particulière de Dieu dans l’histoire d’un peuple qu’il a choisi, la sagesse offre une perspective universelle et intemporelle. Elle est en quête de ce qui est vrai partout et toujours. Au lieu de parler des fils d’Israël, dont les récits racontent l’histoire, auxquels la loi a été donnée, auxquels la parole des prophètes est adressée et qui adressent à Dieu leurs prières dans les Psaumes, c’est à l’être humain en général qu’elle s’intéresse, c’est à lui que s’adresse la sagesse personnifiée (8.4). Cette démarche propre de la sagesse prend comme références caractéristiques l’expérience et la réflexion. Elle entend ainsi communiquer un savoir, une compréhension, une aptitude à diriger sa vie, appelée précisément la sagesse.

La sagesse biblique comprend trois livres différents dessinant un parcours de difficulté croissante. Le livre de base, les Proverbes, pose les fondements de la sagesse. Le livre de Job introduit le lecteur dans un débat agité entre sages, soulevé par une question embarrassante et douloureuse : les malheurs survenu au meilleur d’entre eux. L’Ecclésiaste dresse le bilan négatif de l’expérience du grand sage, le constat de tout ce qui ne va pas, qu’on ne comprend pas, qui rend l’existence décevante et la sagesse pénible. Notre époque, à l’évidence, s’intéresse beaucoup plus aux deux dernières étapes qu’à la première. Job et l’Écclésiaste éveillent bien plus d’intérêt et de sympathie que les bons principes du livre des Proverbes. Mais notre époque n’aurait-elle pas un besoin plus urgent de la première ? Discuter, débattre, contester, critiquer et pour finir être déçu, cela tout le monde sait le faire aujourd’hui, et personne ne s’en prive ! cela passe même pour preuve d’intelligence, mais construire, donner des bases, des repères, c’est bien plus difficile et moins bien reçu. La vraie et salutaire originalité aujourd’hui ne serait-elle pas d’être simple et constructif ? Le livre des Proverbes nous y aidera.

La préface des Proverbes

Après le titre, « Proverbes de Salomon », le livre s’ouvre sur une notice introductive, une sorte d’avant-propos, qui indique le but de l’ouvrage, le public qu’il vise et en pose le principe de base. Dans les 2 premiers versets (v. 2-3) la notice se concentre sur le but, la sagesse est décrite à l’aide de divers termes qui s’additionnent pour en donner un éventail aussi large que possibe : sagesse, instruction, intelligence, bon sens, justice, équité, droiture. Sept termes différents, gouvernés par trois verbes qui en décrivent l’acquisition : connaître, comprendre, recevoir.

Au verset suivant (v. 4), l’attention se porte sur le public visé par l’ouvrage : le candide, le jeune homme, celui qui a tout à apprendre. Ainsi est précisé dès le début qu’il s’agit bien d’un manuel d’apprentissage. Mais, pour celui qui s’estimerait assez avancé pour pouvoir s’en passer, l’auteur s’empresse d’ajouter en le prenant directement à partie : « que le sage écoute ! et il augmentera son savoir » (v. 5).

On revient ensuite au but de l’ouvrage présenté de manière un peu différente. La forme habituelle sous laquelle la sagesse est rassemblée et transmise, les maximes, les sentences, les énigmes, exige un apprentissage. Il ne suffit pas de les connaître, il faut encore les comprendre pour bien les utiliser. C’est cela que vise le livre (v. 6). Les maximes, ou proverbes, qui en constituent les deux-tiers (chap. 10-31) seront précédés d’instructions (chap. 1-9) qui préparent le lecteur a bien profiter des collections qui suivent.

Placé tout à la fin, inattendu après cet avant-propos en mode d’emploi (pour… pour… pour…), le théorème de base est posé : « La crainte du Seigneur est le début de la sagesse » (v. 7). Le livre peut maintenant commencer.

Les maximes ou proverbes

Les collections de proverbes (chap. 10-31) constituent le corps du livre. Somme de l’expérience accumulée par les générations passées, bien commun qui se communique dans la famille et la société, on s’en imprègne progressivement, on les cite dans la vie quotidienne pour apprécier une situation, éclairer une décision. Les collections n’offrent pas une présentation systématique par sujet qui donnerait l’impression, l’illusion, que l’on a réponse à tout. C’est une sagesse au fil du temps et des circonstances. Le refus d’ordonner est une marque de modestie, une façon de se conformer à l’existence humaine où s’imbriquent les différents domaines au gré des activités et des circonstances.

D’ailleurs, il ne suffit pas de connaître les proverbes, encore faut-il savoir les utiliser. Deux maximes proches voisines attirent l’attention sur le risque et les dégâts d’une mauvaise utilisation. Le proverbe dans la bouche d’un insensé est comparé aux jambes d’un boiteux (26.7) ou à une épine dans la main d’un homme ivre (26.9). C’est la raison pour laquelle les collections sont précédées d’une longue instruction qui, comme le signale l’avant-propos (v. 4) doit permettre de bien les comprendre.

Les instructions

Elles sont données sous la forme du discours paternel, « mon fils » (1.1 : 2.1, etc. jusqu’au chapitre 7). C’est la forme classique de l’instruction sapientale. Il est relayé par l’appel de la sagesse en personne. Ces intructions donnent essentiellement une orientation morale : ne pas se laisser séduire par le mal, écouter les avertissements, bien se conduire, rechercher, acquérir la sagesse, avant tout et par-dessus tout, craindre Dieu.

La séduction du mal, contre laquelle le sage veut prémunir le jeune homme, prend tout d’abord la forme de la bande de voyous (1.10-19). La camaraderie, la promesse d’un gain facile exercent un attrait auquel le jeune homme averti saura résister. Cette séduction du mal se concentre ensuite sur une figure féminine, déjà évoquée au chapitre 2 (v. 16-19), elle occupe tout le chapitre 7 qui conclut l’instruction paternelle. Elle est désignée sous le nom de « femme étrangère. » Qui est-elle ? Pourquoi est-elle appelée « étrangère » ? Pourquoi lui donner une telle importance ?

L’étrangère

Qui est-elle ? Les différentes évocations du personnage en dessinent le contour. Elle cherche à séduire l’ingénu par de douces paroles, elle promet le plaisir. Femme mariée (6.26,29), elle trahit son mari (2.17), profite de son absence pour attirer l’inconnu chez elle (7.9-20). Elle est prostituée (6.26) ou en a l’apparence (7.10). Elle est la « femme du mal » (6.24). Elle n’appartient pas, semble-t-il, à un autre peuple, car le sage lui reproche d’oublier l’alliance de son Dieu (2.17). Le fait est confirmé par l’absence de toute mise en garde contre la pratique d’un culte étranger, danger régulièrement signalé lorsqu’il s’agit de femmes d’un autre groupe ethnique (Dt 7.3-4 ; Nb 25.1-3 ; 1 R 11.1-8).

Pourquoi donc est-elle appelée étrangère ? Pourquoi ne pas la désigner plus explicitement et simplement : femme volage, adultère ou prostituée ? Étrangère est un terme ambigu, à la fois repoussant et attirant, éveillant la méfiance et la curiosité. Il correspond ainsi à la séduction qu’exerce cette personne. « L’eau dérobée est douce et le pain du mystère est savoureux » insinue la folie, autre figure de la séduction mensongère (9.17). Sa conduite devrait rester étrangère dans une société régie par la sagesse et la crainte de Dieu, mais ce qui devrait être repoussé est précisément aussi ce qui attire. D’où la force de la séduction et l’insistance du sage à prévenir, à dissuader.

 

Mais pourquoi lui donner une telle importance dans l’instruction paternelle au risque de laisser penser que la femme serait l’instigatrice principale du mal ? Certes le désordre sexuel est bien l’un des dangers majeurs de la société. Mais il y a plus. Avec sa beauté, ses paroles de miel, les délices qu’elle promet, l’étrangère apparaît comme le symbole de la séduction du mal. Le problème du mal est qu’il peut apparaître singulièrement, diablement, séduisant. Le sage est celui qui sera assez averti pour ne pas tomber dans le piège. Cette fonction de symbole de la femme étrangère se trouve confirmée par sa mise en contraste avec la figure éminemment symbolique de la sagesse au chapitre suivant.

La sagesse

 

La grande dame se fait entendre dès le premier chapitre (1.20-33). Elle reprend la parole à la fin des instructions paternelles pour occuper tout le long chapitre 8 (v. 1-36). Elle intervent encore au chapitre suivant en concurrence avec la folie (9.1-6). Cette remarquable personnification de la sagesse est propre à ces neuf premiers chapitres du livre. On ne la retrouve, ni dsans le reste des Proverbes, ni dans le reste de la littérature de sagesse, ni ailleurs dans l’Ancien Testament.

Dans le monde polythéiste qui entoure Israël, la présence d’une telle figure n’aurait rien d’inattendu. Les nombreuses divinités qui peuplent l’espace religieux des voisins d’Israël figurent des astres, des éléments, comme la terre, la mer, le ciel, ainsi que des qualités, telles que la justice ou la sagesse, comme la Maat égyptienne, fille de Ré. Mais dans l’Ancien Testament, qui affirme qu’il ne saurait y avoir d’autre Dieu que Yahvé, le Dieu qui s’est révélé à Israël, la présence d’une telle figure ne manque pas de surprendre. Elle parle avec une autorité quasi divine, se moquant de ceux qui auront négligé ses conseils et ses avertissements (1.25-31). Elle affirme exercer une autorité universelle, c’est par elle que règnent les rois (8.15). Elle se dit présente avant la création, enfantée par Dieu et présente à ses côtés avant l’origine du monde (8.22-31). Cette impressionnante stature, justifie le caractére vital du choix qu’elle propose : « celui qui me trouve a trouvé la vie » (8.35), « celui qui pèche contre moi le fait au péril de sa propre vie. Tous ceux qui me haïssent aiment la mort » (8.36).

Cepandant elle n’est pas une déesse. Aucun culte, aucun sacrifice, aucune prière ne lui sont adressées. Même lorsqu’elle semble exercer une autorité quasi divine, la référence au Seigneur reste toujours ultime. Ceux qui la détestent « n’ont pas choisi la crainte du Seigneur » (1.29). Celui qui la trouve obtient « la faveur du Seigneur » (8.35). Le fait que la personnification soit limitée à cette section des Proverbes (chpaitres 1-9), confirme qu’elle doit être prise comme une figure littéraire et non comme une personne réelle. Le fait qu’elle soit en mise en contraste avec les deux figures symboliques de l’étrangère et de la folie, montre que sa personnification relève d’un procédé pédagogique : offrir au jeune homme destinataire de l’instruction, des figures emblématiques féminines pour donner plus de consistence à son choix entre la vie et la mort.

Le choix de la vie

L’étrangère est une tueuse (7.26), le chemin de sa maison, c’est celui du cimetière, il descend « vers les chambres de la mort » (7.26). La sagesse, c’est la vie, comme elle le souligne à la fin de chacune de ses interventions. Au chapitre 1 :  « Celui qui me trouve vivra tranquille » (1.33), au chapitre 8 : « Celui qui me trouve a trouvé la vie » (8.35) et au chapitre 9 : « Abandonnez la naïveté et vous vivrez. » (9.6). A l’opposé, la folie, comme l’étrangère, conduit à la mort. Celui qui répond à son invitation « … ne sait pas que c’est le lieu des ombres, que ses invités sont dans les profondeurs du séjour des morts. » (9.18).

Ainsi, pour préparer le jeune homme à profiter de la somme de sagesse accumulée dans les maximes qui vont suivre, c’est un choix radical, choix de vie ou de mort, qui est présenté dans ces instructions initiales. La sagesse rejoint ici les autres formes de discours de l’Ancien Testament qui présentent d’autres facettes du même choix. La loi : « j’ai mis devant toi la mort et la vie », « Choisis la vie ! » (Dt 30.19). La prophétie : « Cherchez-moi et vous vivrez » (Am 5.4). L’Evangile : « Dieu nous a donné la vie éternelle et cette vie est dans son Fils, celui qui a le Fils a la vie, celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie. » (1Jn 5.11-12).

La femme de valeur

Une figure féminine positive contre deux négatives et la seule figure réelle, l’étrangère, négative, le tableau ne serait-il pas, de manière inquiétante, déséquilibré ? La seule figure féminine positive étant une abstraction ?

Pour avoir un tableau complet, il faut aller jusqu’à la fin du livre, à la deuxième moitié du dernier chapitre (31.10-31. Ici apparaît une autre figure féminine, positive et bien réelle, appelée la « femme de valeur. » Le terme employé pour la désigner présente une diversité de sens possibles assez déroutante. Il peut signifier force, vigueur, valeur, fortune ou même armée. Pour percevoir la portée du titre « femme de valeur », il faut le rapprocher d’un titre masculin correspondant, faisant usage du même terme et généralement traduit dans nos versions modernes « vaillant héros. » Il est fréquemment donné à des soldats, mais pas uniquement. C’est notamment le cas de Boaz ainsi désigné dans le livre de Ruth (Rt 2.1). Dans ce même livre, la correspondance entre le titre masculin et le titre féminin ressort clairement lorsque Boaz signale à Ruth qu’elle est, de notoriété publique, une « femme de valeur » (Rt 3.11). Ainsi s’établit la parité entre Boaz, homme de valeur, et Ruth, femme de valeur.

La femme de Proverbe 31 est une femme active, entreprenante, tenant sa place dans sa famille et dans la société. Elle est une figure d’ordre opposée aux figures de désordre que sont l’étrangère et la folie. Cet ordre est souligné par l’ordre alphabétique du poème, chaque vers commençant par une nouvelle lettre dans l’ordre de l’alphabet. A l’image de la sagesse, ordre du monde, elle incarne l’ordre familial et social. Sa place à la fin du livre fait ressortir son importance. Ainsi chacune des deux parties essentielles du livre s’épanouit en une figure féminine emblématique positive. Les instructions des chapitres 1 à 9 avec la sagesse et les maximes des chapitres 10-31 avec la femme de valeur.

Trait intéressant, cette incarnation de la sagesse dans la vie concrète n’est pas appelée femme sage, mais « femme crainte du Seigneur » (30). Le lien indispensable entre sagesse et crainte du Seigneur est ainsi rappelé. Dès les premières lignes du livre la crainte du Seigneur a été posée comme début de la connaissance (1.7). Á la fin des instructions, entre les deux invitations concurrentes de la sagesse et de la folie, le principe est rappelé, c’est « le commencement de la sagesse » (v. 10). Il est ultimément rappelé dans le nom donné à la femme de valeur à la fin du poème et qui la désigne comme une incarnation de la crainte du Seigneur dans la famille et la société.

Professeur Emile Nicole